Bataille de longitudes
- pierrebaron85
- 17 mai
- 4 min de lecture
Faire le point, relever sa position, a longtemps été un problème pour les marins. L'histoire de la longitude et la méthode pour l'obtenir mérite que l'on s'y attarde.
La latitude, le positionnement nord-sud, était connue de longue date et relativement précise; alors que la longitude, le positionnement est-ouest, restait une sorte de mystère, une approximation parfois dangereuse, principalement par manque technologique.
Longtemps, les navigateurs se sont échinés à tracer leur route sur un même parallèle, pour ne pas trop se perdre. Grâce au soleil par exemple, ou aux étoiles en général ont peut en déduire sa latitude, la longitude c'est une autre affaire.
Pourquoi ?
Parce-qu’il faut admettre que la Terre est sphérique par exemple. La navigation maritime est bien plus ancienne que cette notion (apparemment il en reste encore un peu qui en doute). Ensuite, il faut connaitre l’heure avec précision.

Parlons un peu technique.
Mesurer la longitude consiste à connaitre la différence de temps entre l’heure locale à la position X et celle d’un méridien de référence (en prenant, par exemple, le soleil à son zénith et en comparant à l'heure du méridien d'origine). La Terre effectuant une rotation complète en un jour sidéral (86 164 secondes), la différence de temps peut-être convertie en degrés de longitude assez facilement.
Il faut bien entendu décider d'un méridien comme base du calcul. Aujourd'hui, le méridien de Greenwich est la référence internationale, mais seulement depuis 1884.
Ptolémée, au 2è siècle avant JC, l'avait définit à 2° ouest des iles Canaries. À la fin du XVè siècle, l'Espagne et le Portugal utilisaient la ligne tracée par le pape Alexandre VI à l'ouest des Açores, pour répartir leurs ambitions territoriales, comme méridien (c'est pourquoi le Brésil parle portugais). Mais il y a eu aussi un méridien de Paris et une tentative avortée d'un méridien de Washington. Parfois même les capitaines cartographes décidaient de leur propre repère; comme Ortelius (Hollande) qui pris la plus orientale des iles du Cap Vert; certains prenaient indifféremment un cap comme point de référence.
Tout ça permettait aussi d'entretenir le secret de certaines découvertes.

Mais voilà le problème principal : fabriquer une montre suffisamment précise et fiable, c'est à dire qui ne se dérègle pas trop pendant son séjour en mer. C’est relativement récent, puisque la solution n’a été trouvée que durant la deuxième moitié du XVIIIè siècle.
Ces « écarts » de longitude qu’il suffit aujourd’hui de pointer du doigt sur une carte ou le curseur de la souris sur l’affichage vectoriel ne sont connus, avec une précision somme toute relative, que depuis 1761.
Avant ça on pouvait faire comme la flotte de l’amiral Shovell, qui, par temps de brouillard dans les parages des îles Scilly, s’est perdue faute d’une longitude précise, perdant 4 navires de ligne et 1400 marins, dont l’amiral lui-même, en octobre 1707.

Cette catastrophe maritime britannique est à l’origine de la création du Board of Longitude en 1714, et son prix de 20 000 £ (4,5 millions £ d’aujourd’hui) décerné à celui qui trouverait le moyen sûr et simple de se situer sur ces satanés méridiens. Au diable l’avarice, il faut éviter une bonne fois pour toute une nouvelle honte à nos meilleurs ennemis : celle de s‘échouer par mégarde sur son propre littoral …
Je suppose qu’à l’époque on a ricané par chez nous, vu que cette flotte rentrait d’une campagne à Toulon où elle avait été défaite. Comment boire le calice jusqu’à la lie …
C’est un ébéniste de métier qui remportera le prix en 1761 ! John Harrrison, passionné d’horlogerie, présente un chronomètre de marine avec une précision inférieure au demi-degré, le modèle H4. Plus précisément l’erreur est de 5 secondes sur le voyage que fait son fils pour tester le chronomètre entre Londres et la Jamaïque, soit 1,25 minute de longitude. Ce qui n'est pas grand chose pour un voyage de 9 semaines. Il ne remportera qu’une partie de la prime, le jury estimant « qu’il a eu de la chance » …


C'est là ou les terriens en mocassins se disent : degré et temps ? Les marins en bottes (de cuir à l'époque) leur répondent alors : outre le fait que les deux sont dans le système sexagésimal, quatre secondes en plus ou en moins sur un chronomètre occasionne une erreur d'environ 1 minute de longitude...
C’est d’ailleurs pourquoi, parfois, une certaine incompréhension subsiste entre ces deux types de bipède : pour savoir où il est, le marin commence par se demander : quelle heure est-il ?

Chez nous c’est Ferdinand Berthoud qui s’attelle à la tâche. Il sort son premier modèle de montre de marine en 1761, tiens donc : la n°1. Deux ans plus tard, il est envoyé à Londres pour examiner la H4 de Harrison qui, très gentiment, refuse de la lui montrer.
Le 1er mai 1771, Yves Joseph de Kerguelen de Trémarec prend la mer à Lorient avec la Berthoud n°6. C’est la première expédition en conditions réelles qui utilise une montre de marine.


Nous on ricane, mais ça n’est qu’en 1795 qu’est créé le Bureau des Longitudes, un 17 juin, principalement pour faire concurrence aux anglais sur la mer et ainsi éviter que l'Union Jack ne soit planté partout.
Ce bureau édite plusieurs ouvrages annuellement, « Connaissance des temps », dont une version à l’usage de la Marine, que l’on appelle aujourd’hui, depuis 1918, les « Éphémérides Nautiques », bien connues des marins.

Aujourd’hui, l’erreur des systèmes de positionnement est de l’ordre de 10-11 seconde par jour, soit 1 seconde tous les 300 millions d’années, loin de l’erreur du modèle H4 de John Harrison à qui, néanmoins, il faut dire merci.
Désormais, lorsque quelqu’un arrive en retard, ne perdez pas patience. Pensez plutôt à Shovell et sa flotte. C’est bien la position à l’arrivée qui est importante et pas à quelle heure, bien que, vous le savez maintenant, l’une n’aille pas sans l’autre.
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